jeudi 3 juillet 2008

Les huit.

LES HUIT.


Le jour se levait avec difficulté ce matin-là. Le ciel était voilé sombre et épais. Le soleil bas le transperçait avec peine. Une journée d’automne commençait. Nous étions en hiver 1941. Le froid, la neige et la peur demeuraient notre triste et insalubre quotidien. Nous paraissions condamnés à vivre ce calvaire, sans répit.

Cela faisait environ 2 mois que j’étais détenu dans un camp Allemand. Il paraissait que si l’on essayait de garder la notion de temps dans un camp, on devenait fou. Je n’arrivais pourtant toujours pas à me défaire de cette fameuse notion. Pour moi la perdre s’était donner les clefs de mon existence à quelqu’un. Savoir que mon existence continuait mais qu’au fond, j’étais perdu et inutile me faisait horreur. Je n’aurai nul repère. Parfois, il paraissait que les condamnés préféraient mourir plutôt qu’être déshumanisés.
J’entendais dans mon dortoir toutes sortes de langues. J’entendais de l’Anglais, du Français, de l’Allemand, de l’Autrichien… Nous étions tous mélangés. Il y avait toutes les nationalités, tous les types de détenus. Les condamnés à mort côtoyaient les condamnés aux travaux forcés, les Allemands côtoyaient les Français… Tout le monde était au même niveau, c’est-à-dire le plus bas. Plus aucune distinction n’était faite parmi les prisonniers eux-mêmes. Seuls les gardes du camp classaient les différents détenus. D’un côté le groupe des Juifs, d’un autre des résistants, derrière le groupe des condamnés de guerre et devant des condamnés politique.

Ce matin-là fut un matin relativement glacé. Nous étions à peine habillé et un bout de tissu faisait office de gants. Malgré le tissu, nos doigts transparaissaient bleuis sous l’effet du froid. L’air glacial nous martyrisait. Nous grelottions et tremblions de tous nos membres. Nous regardions le soleil. Il demeurait tamisé, lointain. Nous étions tous réunis sur la place du camp. Les prisonniers l’appelaient la place de la libération. C’était notre unique moyen pour sortir du camp. Nous disions aux nouveaux venus que nous y passerons tous, le plus tôt étant le meilleur.

Malgré ma conviction pour cette idée, celle-ci m’effrayait. Je ne pouvais pas me résoudre à mourir aussi jeune pour une cause futile. – Un véritable marché s’était mis en place au camp. Tout le monde marchandait sa vie. Nous vendions un peu de bonheur tant que possible bien que le terme bonheur était ici inapproprié. Chacun vendait ce qu’il pouvait. L’on y trouvait de tout… J’allais à la recherche d’information sur les Allemands, leurs avancées, leurs victoires et défaites. Je voulais analyser leur évolution. Pour pouvoir avoir une idée précise, je questionnais les nouveaux venus. Je me montrais un peu comme un protecteur. J’essayais de les rassurer tant bien que mal. Malgré les informations que je possédais, j’avais l’ultime conviction que tôt ou tard l’avancée Allemand s’arrêterait net. Un renversement violent. Cela marquerait le début de la chute du III Reich. Ce serait alors une sensible augmentation de notre qualité de vie. Or, depuis quelque temps j’avais perdu tout espoir de libération. Les rumeurs se répandaient aussi vite que la peste. Nul n’y échappait, toujours quelqu’un vous mettait au courant. Tous mes espoirs tombèrent, se turent au plus profond de mon être pour ne plus jamais y ressortir. Depuis que la nouvelle était tombée, tout le monde était silencieux. Tout le monde marchait tête baissée, n’osant croiser le regard de l’autre. Des regards remplis de désespoir, d’interrogations et de peur. Personne n’osait demander tout haut ce que tout le monde redoutait, « à qui le premier ? »

Je sentais le regard de mes compagnons se poser sur moi. Je tremblais de tous mes membres, mon cœur s’emballait à chaque lecture de nom. Je savais au fond que j’étais un de « ceux-là ». Mon regard fuyait, ma raison n’était plus. Perdu au milieu de mes pensés, je ne réagis pas à l’appel de mon nom, je ne l’entendis même pas. Des chuchotements se faisaient entendre. De petit mouvement de foule était perceptible. Mon nom fut redit. Le garde avait redoublé d’intensité montrant à la fois son intransigeance et son mépris. Soudain une main se referma douloureusement sur mon bras. Une poigne ferme me saisi tel un étau. J’eu un brutal retour à la réalité. Dès la sensation de cette tenaille, l’appréhension était totale. Ne pas entendre l’appel de son nom n’était jamais bon signe. Mes membres se raidirent. Mon cœur s’accéléra. Il semblait vouloir en finir avant même de subir la pénitence. Le soldat m’emmena à coté des huit autres détenus. Sa manière de me tenir, de me traîner renforçait l’idée du mépris des soldats à notre égard. Le garde fit monter le peloton d’exécution sur l’échafaud.

Du haut de l’échafaud, nous scrutions l’ensemble des détenus. Visage morose, regard maussade, leur corps semblait déshumanisé. Tout semblant de vie était maintenant imperceptible. - Le chef de la SS clamait d’un ton intransigeant un Allemand parfait. Il regardait la populace d’un regarde noir, terrifiant. L’incarnation même du mal. Sa simple vision suscitait à la fois stupeur et tremblement. Son discours, endoctrineur était entrecoupé par des saluts Hitlériens. L’intonation de certaines syllabes me ramenèrent à la réalité. Bien que mes yeux communiquassent réalité, mon esprit, lui divaguait, fuyant cette bien affligeante réalité. Je n’étais déjà plus, les sensations de la réalité m’avaient déserté, délaissé. Le discours pré exécution laissa place aux préparatifs de l’exécution. Les autres gardes nous passèrent la corde autour du coup, et recouvrirent nos visages.

Subitement, le reichsführer de la Schutzstaffel se tourna vers nous et sorti une arme automatique. Bras en l’air, arme au point, il hurla une dernière phrase, sans doute la dernière que j’entendrais. Puis, il tira. L’exécution était ordonnée. L’ensemble des bourreaux se tenait derrière nous. Ils commencèrent à tourner, lentement, une manivelle. Nous sentîmes la corde se raidir. L’étreinte fut de plus en plus vigoureuse. Le reichsführer ordonna de manière désinvolte la mise à mort. Nos corps s’élevèrent. Nous étions parcouru par d’infinis spasmes. Nos jambes cherchaient désespérément le soutien de l’échafaud, en vain. Le reichsführer applaudissait devant cette « danse des pendus », il était émerveillé par la souffrance engendré par cette pendaison incomplète. Par le spectacle de cette mort lente.

Non, nous ne pensions plus. Nous ne vivions plus. Nous ne percevons plus ce monde atroce, inhumain. Nous avons été victime d’une déshumanisation. Je m’étais déjà réfugié à plusieurs milliers de lieu d’ici, dans une époque antérieur.



---------------------

Auteur de ce texte, je vous demande de ne pas le modifier, le reproduire ou l'utiliser sans mon autorisation. Je vous remercie de votre compréhension.

Aucun commentaire: